La vie était dure en ce temps
Si vous n'étiez pas les enfants
De quelques fortunés parents
Il fallait passer ses journées
À travailler pour se loger
Se vêtir ou boire ou manger
Il n'y a guère que pour respirer
En somme qu'on vous fichait la paix !
Je rencontrai en ce temps-là
Une anglaise qui vivait là
Et qui respirait de surcroît
De la plus belle façon qui soit
Elle arpentait l'orée d'un bois
C'était courant en ce temps-là
D'humbles étrangères aux abois
Vadrouillant en quête d'un toit...
"C'est inouï, résonnait sa voix
Ce matin, j'avais un emploi
Une chambre, rien que pour moi !"
Mots que vous entendiez parfois...
Je le savais et cependant
Moi qui me plaignais bien souvent
Je me sentis en l'écoutant
Un peu honteux étrangement...
"Ça tombe bien, dis-je imprudent
Je possède un appartement
Qui me paraissait justement
Pour un seul homme
un peu trop grand !"
"Oh vraiment? dit-elle, et partant
Je vous suis !" Elle courait devant
Nous marchâmes et en arrivant
Je mis quelques plats dans les grands
Le frigo par chance était plein
Tant mieux car la belle avait faim
Que diriez-vous d'un peu de vin ?
Contre ça diantre elle n'avait rien !
Elle bâilla, il était fort tard
J'eus peine à lui dire au revoir
"Que diriez-vous si près du feu
Je vous faisais un coin moelleux?"
"Hier, dit-elle, j'ai rêvé
Qu'on m'aimait et qu'on me gardait
J'étudiais et je grossissais
Je n'avais plus à travailler"
Je trouvais cela amusant
On aurait dit des mots d'enfants
Il faut dire qu'elle avait 20 ans
De moins que moi au demeurant
Elle dormait, il était minuit
Discret, j'allai quêter l'avis
D'une amie sage et aguerrie
(ou : D'un maître et ami aguerri)
Qui tint les propos que voici :
"Je serai franc(he) et loin de moi
L'idée de diminuer ta joie
Mais à la fin ne crains-tu pas
Qu'ayant bien profité de toi
Un jour un plus jeune que toi
Passe et que ta belle le voit ?
Lors plus qu'à pleurer tu n'auras
D'autres l'ont vécu avant toi !"
Je repartis un peu troublé
En rentrant, la voyant couchée
M'agenouillant à son chevet
J'eus l'idée de la réveiller
"Cela peut attendre demains !"
Me ravisai-je et je fis bien
Contre elle je vis me lover
"Toi! fit-elle, je t'attendais !
Je suis jeune et toi plus vraiment
Mais je t'aime et veux des enfants
Regarde j'ai des cheveux blancs !"
Trois lui avaient poussé devant
La vie était dure en ce temps
Si vous n'étiez pas les enfants
De quelques fortunés parents
"Va, dis-je, dormons à présent !"
Christophe Gonnet