Tout d’abord l’enfant a pleuré
alors le soleil s’est levé
le jour aussi et le café
lentement s’est mis à chauffer...
Là une force prodigieuse
nous a dressés, secoués, trempés
frottés, récurés, rincés, essorés
rasés, coiffés, habillés et jetés
au dehors, dans la rue
sur les quais, au métro
qui nous a enfournés
mastiqués, malaxés
déglutis, et vomis
quelques stations plus loin
et poussés à son tour
vers les marches de l’emploi...
où l’on nous a saisis
cloués dans un fauteuil
cambrés, pliés
accroupis, mis debout...
où l’on a agité nos doigts
nos pieds, nos jambes
nos mains, nos bras
sur des claviers, sur des machines
ou des outils ou pire encore...
jusqu’à ce que sueur s’ensuive...
Nous étions quelques cent millions
venus de tous les horizons
tous ensemble et chacun pour soi
en même temps, éparpillés
oubliant le présent
et rêvant de futur
haletants et suants
tirés à quatre épingles...
animés de la tête aux pieds
sous le joug d’intérêts communs
individuels,contradictoires
colinéaires,indépendants...
Des millions d’équations
à autant d’inconnues
comme autant de forces aveugles
caracolant le feu au cul
se pénétrant, s’enchevêtrant
s’entrechoquant, s’unissant
formant dans leur frottement moite
un magma fou et chaotique
aléatoire et fracassant...
Alors...
dans un râle apaisant...
a jailli au dessus de nous
parfaitement organisé
comme du corps mou d’une araignée
sous une loupe en plein soleil
le gros champignon atomique
l’énorme cumulo-nimbus
charbonneux de la vie active...
Puis tout s’est mis à converger
les équations, leurs inconnues
les biais, les causes
et leurs effets
en une seule et même équation
éblouissante, universelle
l’x de la condition humaine...
Alors dans un spasme orgasmique
la sirène a rendu son cri
et l’on nous a remis dehors
après nous avoir tout repris
notre présent, notre énergie
en échange d’une somme d’argent
qu’on nous a reprise aussitôt
contre un ticket
contre une ardoise
ou un panier à provisions...
Alors chacun s’en est allé
rapporter son maigre butin...
Alors j’ai quitté mes souliers
j’ai posé mon sac sur la table
l’enfant a cessé de pleuré
et le soleil s’est recouché...
Christophe Gonnet