La rue c'est mon royaume
Sa faune mon commerce
Je flâne, solitaire
Dans les rayons d'ma vie
Les sens en érection
La raison ramollie
Et je fais l'inventaire
De toutes mes richesses
Je vois mes étalages
De chairs costumées
Tous mes robots d'acier
De gaz et de plastique
Je sens mes hauts fourneaux
J'entends leurs mélopées
Mes richesses c'est cela
Mon réseau organique...
Ce qui filtre mes yeux
Mes pores, mes orifices
Perceptions infinies
Confuses, entremêlées
C'est ma télé visuelle
Auditive, olfactive
Visionnée que par moi
À longueur de journée...
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Mais quand parfois repu
J'ai l'esprit un peu gourd
Tout ce divin butin
Me tient et me gouverne
Ce que je croyais mien
Me prive de ses rênes
Je me croyais le maître
Je suis serf à mon tour
Je suis un chaland ivre
Éperdu, dont les sens
En proie à la marée
Des sentiments ambiants
Sont autant de misaines
Battues par les vents
De pantins tiraillés
Par des liens d'influence...
Vous frissonnez, j'ai froid
vous vous blessez, je saigne
Je suis riche de vos joies
Et lourd de votre peine
Je porte votre misère
Tel un Christ sa croix
Montmartre, à sa manière
C'est mon calvaire à moi...
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Sauf que moi je n'ai pas
La tête auréolée
Ni l'av'nir cruciforme
Je n'meurs qu'à petit feu
Et quand j'ai trop saigné
Je change de quartier
Je m'en vais faire un tour
Du côté des joyeux
Je m'en vais voir mes femmes
Pour mes péchés de chair
Mon contraire pour mes doutes
Mes fous pour mes chimères
Mes emmerdeurs zélés
À me donner des ailes
Mes vieux pour ma mémoire
Mes jeunes pour mes nouvelles
Vous tous mes dictateurs
Et sujets à la fois
Vous qui naissez en moi
Dès lors que je vous sonne
Vous que j'emporterai
Dans ma tombe, avec moi
Puisque vous n'existez
Qu'à travers ma personne...
Christophe Gonnet