MOI MODESTE TAULIER

Moi, modeste taulier

D'un petit restaurant

Qui aime bien choyer

Ses fidèles clients

 

Pensant que des musiques

Ou de jolis tableaux

Feraient en ma boutique

Un peu de renouveau

 

J'eus cette idée un jour

Contre vins et boudins

D'accueillir troubadours

Peintres et musiciens

 

Mais pas n'importe qui

Si l'on veut jouer chez moi

Choisir est un plaisir

Que je ne boude pas

 

Il faut que l'on me touche

Et n'hésite à cette fin

À faire la fine bouche

Et jouer les becs fins

 

Et comme les artistes

Ont ce besoin de jouer

Ils viennent prêts à tout

Pour me galantiser

 

Et moi je leur dis : "Oui !

Ceci, non ! Pas comme ça !"

Au lieu de m'objecter :

"Hé ! L'artiste c'est moi !"

 

Trop soucieux de me plaire

Les voilà qui acquiescent

C'est dire que pour un peu

Je les tiendrais en laisse

 

Et moi qui n'ai jamais

Pondu le moindre mot

Pas même la moindre note

Ni le moindre tableau

 

Je joue les pointilleux

Standardise à tout va

Désolé pour tout ceux

Que je ne retiens pas

 

Sans doute parmi eux

Des gens même très bien

Mais vu que nul autour

Ne me conteste rien

 

Que le public acclame

Et qu'on vient de très loin

Autant pour mes programmes

Que mes vins et boudins

 

Qu'y puis-je au fond si bien

Que n'y connaissant rien

Le gratin parisien

Me mange dans la main ?

 

Et me fait les yeux doux

M'accorde sa confiance

Parle de mon bon goût

Et si partout en France

 

Radios, télévisions

Aux heures d'affluence

Dans leurs programmations

Me donnent carte blanche

 

Ou évoquent mon nom

Même, pourquoi le taire

Pour certaines fonctions

Dans certains ministères ?

 

Au final, je consens :

Ou je suis ce qu'ils croient

Ou puisque tous ces gens

Sont sourds autant que moi

 

Effrontément je fais

Sur les arts, les talents

Le bon grain et l'ivraie

La pluie et le beau temps !

 

Pour conclure je dirais :

Vous, artistes, apprenez

À vous concilier

Les garçons de café

 

Vous modestes tauliers

Fi de l'humilité !

Tout ce que moi j'ai fait

Est à votre portée

 

Quant à vous cher public

Refusez d'absorber

Tout et n'importe quoi

Et le monde changera !

 

Mais je file à présent

Désolé, je m'étends

D'ailleurs il est grand temps

Le Président m'attend !

 

 

 

Christophe Gonnet