Au grand Zoo de la Villette
Une otarie Vedette
Sachant compter sans se tromper
Et comprenant français, anglais
Faisait les honneurs de ses maîtres
Oui, mais voilà :
À force d’instruction,
Notre érudite d’exception
Vint à se poser des questions,
N’ayant plus le coeur à l’ouvrage...
Que fais-je ? Où plonge ?
Qui suis-je ? Où nage ?
Etre ou n’être pas otarie ?
Et ce ballon sur mon museau ?
La belle, sur son nuage, songe...
Sous le regard atterré de ses pauvres sœurs
N’y comprenant fichtrement rien
Trop occupées à leur labeur
À remuer du popotin
À faire la risée des badauds...
Tout ça pour une poignée de poissons!
Car pas d’exhibition, pas de poisson!
Telle est la condition !
Le ventre, le ventre
Toujours ce piège!
Ces mots résonnent dans sa tête...
Si c’est ça, autant dépérir !
Cela vaut-il le coup
que je perde mon âme ?
pour l’aise à quatre sous
de tous ces messieurs-dames ?
Avant, ils se mataient entre eux
Au moins, on était plus tranquille...
Avant, il y a de ça longtemps,
L’homme n’était un loup
que pour l’homme
Même que c’est un homme
qui l’a dit...
Notre otarie connaît l’histoire...
Elle pense au temps des colonies,
Avec ses boucs émissaires,
ses missionnaires et leurs bréviaires
Leur commerce triangulaire
Et leurs plantations cotonnières...
Mais aujourd’hui que c’est fini
leurs chers petits, bien démunis
pleurent d’ennui, alors depuis
Ils en ont après notre peau
Quel manque de peau !
Si seulement, à la bonne heure
Nos maîtres étaient plus compétents !
Mais regardez ces amateurs,
Ces prétendus dompteurs,
Qui galvaudent notre talent
Et nous font perdre notre temps
À ces simagrées ridicules :
Couché ! Debout ! et Garde à vous !
Et galipettes à la baguette,
Et vous qui les applaudissez ?
Vraiment...
La nature est-elle si bien faite ?
Si bien que le disent les hommes
Pour avoir fait les hommes si bêtes
Et les bêtes au service des hommes ?
Ah pauvres pantins que nous sommes!
Drôle d’existence ! Drôle de destin!
On jurerait l’armée de terre !
Le comble pour des Loutres de mer !
Vraiment pas de quoi s’esclaffer...
Ni applaudir, foi d’otarie !
Le jour du 14 juillet
Ne comptez pas sur moi, pardi
Pour taper des mains et des pieds !
D’ailleurs comment le pourrions nous?
Regardez nous, pauvres de nous
Ce corps, ce gros sac à patates
Ces moignons en guise de pattes
Nature s’est bien moquée de nous !
À l’évidence :
C’est 2 bras qu’il nous manque à nous
Voilà le Hic, et tout l’comique !...
Donc riez et qu’on en finisse !
Qu’on nous renvoie au fabriquant
Et entre temps
Dîtes lui bien au fabriquant
Que c’est un fichu créateur !...
Un impotent, un malvoyant
Un étourdi, un maladroit
Peut-être même qu’il n’existe pas
Si vous le rencontrez
Dîtes le moi
Mais d’ici-là
Les otaries
auront des bras...
Christophe Gonnet