À l’auberge des Étourneaux
On voit passer de drôles d’oiseaux
Des Séraphins
Des Migrateurs
Des Rouges Gorges
De vieux Rapaces
Des Coqs coquets en pied-de-poule
De jolies Grues et leurs Poulbots
Avec leurs Pigeons de service
Des vieux Hiboux
De vieux Voleurs,
De jeunes Volages
Des Tourtereaux
Qui boivent aux mêmes alambics
Tous au même banc
La belle équipe
La même eau de vie tarifée
Libations médicamenteuses
D’après service
Et qu’on leur sert sans ordonnance
Dans des p’tits ballons fantaisie
Jaugés pour la modération
Tell’ment qu’on y revient toujours
Encore et encore
Allez-y, y en aura pour tous !
Article truc du code pénal
Même que passée une certaine heure
A l’auberge des Étourneaux
On en entend, des noms d’oiseaux
Des "Dinamouks"
Des "Crétino !"
Des "putanas", des "caraïos !"
On y prêche dans toutes les langues
Il faut qu’on sache
Et qu’on s’explique
Sur tout, sur rien, et sur le reste
Du charabia, du brouhaha
Et s’il faut, on en vient aux gestes
C’est qu’à la fin d’une journée
On en a gros sur le gilet
Alors on geint, c’est naturel
C’est l’heure des revendications
Des confessions, des sommations
On passe à table : Réclamations,
Lamentations, Dépositions
Là une vieille qui se plaint
Parc’qu’on lui a piqué son sac
Et qui n’en peut plus de se battre
Pour faire valoir ses droits communs
« Place aux jeunes ! », lui a-t-on dit...
Article machin du code pénal :
1 vieux a les mêmes droits qu’1 jeune
Et oui, jeunes gens,
c’est bien la loi !
Là un jeune homme qui pleurniche
Parc’qu’il va prendre un’bonn’raclée
Même qu’il l’a drôl’ment méritée
Cette fois, il n’y coup’ra pas
Môssieur est un récidiviste
Et qui mérit’rait la police
Même que c’est une dame qui le dit
Article truc du code pénal
Qui dit que si c’était son fils
Et bien ça n’s’passerait pas comme ça
Mais autrement... L’éducation,
Dit-elle en sirotant son verre
Un marmot pendu à sa jambe
Le sien
Et qui revendique lui aussi
Le droit d’pouvoir rentrer chez lui
Et dans son lit
Comme tous les mômes de son âge
Ni plus ni moins
Est-ce bien normal pour un enfant
D’être encore debout à c’t’heure-ci
A l’auberge des Étourneaux ?
Je vous l’demande
N’est-ce pas madame ?
Mais elle s’en moque
Madame se plaint
Comme tout le monde
Tout l’monde se plaint
Tout l’monde sauf une jolie fleur
Dont on se demande, elle aussi
C’qu’elle fiche ici et à cette heure
A l’auberge des Étourneaux
Parmi tous ces oiseaux d’malheur
Tous ces vauriens
Ces traîne-misères
Une jolie fleur dans une volière
Là par erreur
Et qui n’aurait rien à y faire
Ni à y dire...
Pas besoin de réclamation, elle
Ni de revendication
Qui s’fiche pas mal du code pénal
Et de ses droits, aussi, pas mal
Tous ses passe-droits, ça lui suffit
Elle sourit et tout lui sourit
Alors elle persiste à sourire
Une jolie fleur
Là par erreur
A l’auberge des Étourneaux
D'ailleurs la voilà repartie
A la bonne heure
Et tout autour, alors, aussi
C’est reparti
Tout l’monde se plaint
Sans exception
Même pour le chien il y a un os
Un gros molosse
Gras et grognon
Tout comme son maître
Tout comme sa femme
Et sa maîtresse
Et leurs amants
Leurs frères et tous leurs "alcoolytes"
Tous dans l’même sac
La même équipe
Et qui en ont des choses à dire
Vider leur sac
Jusqu’à la lie
Même que c’est loin d’être fini
Et qu’il faudra tout déverser
Tout mettre à plat, tout éplucher
Des montagnes de linge à laver
A repasser
Tant qu’on en aura sur le cœur
Pas question de partir avant
Il faut qu’on sache
Et qu’on s’explique
Tout le monde doit et va savoir
Compris ?
Par chance le Tôlier est patient
Sa femme aussi
Et puis sa cave est généreuse
Autant qu’sa caisse est ambitieuse
Mais ils ont beau être patients
Fort généreux et abondants
Elle comme lui
L’heure c’est l’heure
Ni plus, ni moins
Et bientôt il faudra partir
Qu’on se le dise
Alors on se presse de tout dire
Et pour le reste
On le note dans un coin de mur
Un p’tit pense-bête
Des fois qu’on oublierait demain
Même qu’à force d’en ajouter
Aux murs du bar des Étourneaux
On peut en lire des noms d’oiseaux
Des mort aux cons,
Des mort aux vaches
Des inédits, des interdits
Article machin du code pénal
Des qui mérit’raient la police
Même que c’est la dame qui le dit
Par chance le tôlier est patient
Il ferme un œil
Sa femme aussi
Même qu’à cette heure et à part lui
Il aim’rait bien fermer les deux
Sa cave et sa caisse et le reste
Tout fermer et rentrer chez lui
Et dans son lit
Elle comme lui
Alors pressez vous de tout dire
A vos stylos les écorchés
Derniers pense-bêtes dédicacés
Sur les murs des lamentations
Pour quand on reviendra demain
Oui dès demain
A la bonne heure
A l’auberge des Étourneaux
A tout à l’heure
Et bonne nuit...
Christophe Gonnet